EN PASSANT - R. QUENEAU
2006 - 2010
Création avec une équipe professionnelle
Mise en scène : Sylvie Mandier.
Avec Francisca Rosell-Garcia ou Marguerite Dabrin, Sylvie Mandier ou Virginie Georges, Vincent Domenach ou Charles Lépine et Christian Geffroy.
Costumes : Hubert Arvet-Thouvet.
Lumières: Julien Jedliczka.
Musique : Cédric Tagnon.
Éléments scéniques : Amaya Eguizabal
À la suite de passants drôles et touchants, glissons-nous dans le couloir du métro parisien pour un moment d'évasion et laissons-nous emporter dans un chassé-croisé doux-amer entre rêve et réalité.
CRITIQUES
En passant de Raymond Queneau
Raymond Queneau n’est pas un auteur facile, et la mise en scène de En passant (la seule pièce publiée) et jouée d’un écrivain qui n’était pas vraiment un homme de théâtre) relève du défi. À cause de sa brièveté, sans doute, mais aussi à cause de sa structure et de son écriture : un langage élaboré, poétique, allusif, deux actes qui se reflètent l’un l’autre.
Il faut donc saluer le mérite de Sylvie Mandier et de la troupe « Esperluète and Co » qui servent très bien l’oeuvre, la mettent à la portée de tous, pour le plus grand plaisir des spectateurs – un plaisir qui n’élude pas la profondeur existentielle.
De part et d’autre de la pièce elle-même, deux scènes sans paroles miment les multiples attitudes humaines que révèle la foule métropolitaine. Comme dans de petits « exercices de style », les comédiens composent des rôles variés,dans la plus pure manière quenienne et dans la meilleure tradition de la comédie, avec clins d’œil, références et sous-entendus. Les deux actes, qui contiennent dans leur succession la mise en abyme du rêve et de l’illusion, la fugacité du bonheur, l’impossibilité de peser sur le temps et sur la destinée,la vanité du dialogue amoureux, le poids du réel, s’imposent comme du vrai, du beau théâtre. La virtuosité des comédiens, la précision de la mise en scène permettent au comique, au poétique, au tragique de se côtoyer, de se mêler sans se heurter. L’ensemble est séduisant. Passant, arrête-toi au Théâtre du Marais,le temps d’une visite dans les couloirs du métro… Tu ne le perdras pas, ce temps.
Jean-Pierre Longre
http://jplongre.hautetfort.com
Il faut une belle dose d’audace pour monter En passant : la pièce est courte et Queneau n’a écrit pour le théâtre rien d’autre dont En passant pourrait constituer le lever de rideau. Sylvie Mandier, avec la compagnie Esperluète and Co, a relevé le défi et s’en tire avec élégance. Avant et après l’œuvre de Queneau proprement dite, elle met en scène, de façon assez convaincante, « le métro ». Sur un plateau sans décor, elle plante la hâte, le désarroi, la morgue, la paume, l’indifférence, la muflerie, l’impatience, la résignation (etc. : brodez ad libitum) dont sont maçonnés les couloirs des correspondances bien plus que de briquettes biseautées émaillées de faïence blanche. Ce décor humain est planté sans paroles : des mimiques, des bruitages, quelques symboles. La troupe sert très efficacement cette mise en condition du public.
Plus contestable (car laissant redouter le salmigondis), l’irruption initiale de Zazie. Sylvie Mandier, à la réflexion, n’entendait par là que relier dans l’esprit du public l’œuvre jouée avec le roman le plus populaire du même écrivain. Heureusement, l’insupportable gamine s’efface très vite, comme s’effacent les affiches montant la garde le long des corridors.
Si la mise en condition préalable n’est pas aussi superflue qu’il peut paraître de prime abord (puisque comme il est dit plus haut, elle se substitue à des éléments visuels de décor), il est regrettable que l’implacable « Je ne fais que passer » de la dernière réplique ne donne pas sur une extinction des feux. Le terme abrupt de cette double ébauche d’accès au bonheur, à un autre bonheur, a un côté couperet proprement pathétique. La mise en scène au théâtre Le Passage vers les étoiles prolonge la pièce par un nouveau jeu muet d’acteurs (toujours aussi techniquement irréprochable), et dont, peut-être, si on en avait été avertis (comme ceux qui, ayant lu cette critique, iront voir le spectacle), on se serait mieux accommodé.
Il reste que de voir et ouïr les mots de Queneau, d’être devant ses personnages incarnés en chair en os et en talent de comédien(ne)s est toujours une expérience gratifiante.
Merci, Sylvie Mandier, merci à l’Esperluète and Co.
Victor Batignol
Revue d’études sur Raymond Queneau n°56-57 « Ouvroirs »
Les amis de Valentin Brû